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Descartes et la Reine Christine de Suède

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C’est par M. de La Thuillerie, alors ambassadeur de France à Stockholm, que Descartes entend pour la première fois chanter les louanges d’une Suédoise qui là-bas tout au nord de l’Europe et à tout juste 20 ans, connaît les philosophes grecs et latins mieux que quiconque.

 

 

La reine Christine de Suède (1626-1689) et la princesse palatine Élisabeth de Bohême (1618-1680), ont entretenu une correspondance avec le philosophe René Descartes pour parfaire leurs connaissances. Ces lettres ont nourri son travail, le repoussant dans ses retranchements. A l’occasion de la réédition de cette correspondance chez Folio Classique (2018), France Culture a consacré plusieurs numéros de son émission : Les Chemins de la philosophie.

C’est un autre diplomate français, futur ambassadeur, Pierre Chanut, par ailleurs grand ami de Descartes, qui aurait été le premier à parler du philosophe à la reine Christine. Et cela aurait suscité chez elle un tel intérêt qu’il aurait aussitôt écrit au philosophe pour lui demander ses Méditations, traduites depuis du latin afin de les transmettre à la souveraine. Le 1er novembre 1646, Descartes répond qu’il vient de lui envoyer l’ouvrage.

Il est âgé de tout juste 50 ans, il a publié la plupart de ses livres et acquis une réputation européenne. S’engage alors entre la reine Christine et Descartes une relation épistolaire, soutenue par Pierre Chanut.

 

De l’amour…

 

Christine possède de vastes connaissances, s’intéresse à la philosophie morale et aux questions religieuses, puisque, selon Chanut, elle veut savoir : Ce que c’est que l’amour ; Si la seule lumière naturelle nous enseigne à aimer Dieu ; Quel est le pire dérèglement, de l’amour ou de la haine. Dans sa réponse, Descartes traite de l’amour intellectuel, de l’amour passion et des liens qui les unissent. Il parle en philosophe de l’amour de Dieu, évoque « l’infinité de sa puissance » et la dépendance de toute la création, sans pour autant vouloir « que le monde soit fini ». Pour des raisons psychophysiologiques, il insiste sur les « funestes désastres » pouvant découler d’un amour déréglé causant « plus de mal » que la haine.

 

… Et de la religion

 

Par l’intermédiaire de Pierre Chanut, Christine demande comment accorder la religion chrétienne avec l’hypothèse du monde infini. Descartes distingue l’infini, réservé à Dieu, de l’étendue indéfinie du monde. A la question, plus concrète de Chanut, « quelles causes (...) nous incitent (...) à aimer une personne plutôt qu’une autre », Descartes invoque des « inclinations secrètes ». La correspondance directe entre le philosophe et la reine commence avec la question de Christine sur Le Souverain Bien en cette vie. Descartes insiste alors sur le « bon usage » de notre « libre arbitre », autrement dit de notre liberté, objet d’une réflexion rationnelle. L’été 1645, il envoie à Pierre Chanut une copie du « premier crayon » de son traité Les Passions de l’âme et des lettres à la princesse Elisabeth de Bohême - avec qui il entretient une correspondance suivie - traitant « plus au long » la question du souverain bien et discutant Sénèque sur La vie heureuse (De vita beata).

Selon Descartes, un « contentement (...) solide » dépend d’une « volonté ferme et constante d’exécuter tout ce que nous jugeons être le meilleur ». Avec l’envoi complémentaire, Descartes souhaite rapprocher ses deux correspondantes et espère le soutien de Christine dans les négociations de paix concernant la famille d’Elisabeth. Dans la lettre accompagnant celle de la reine, Pierre Chanut dit qu’en voyage, elle étudie Les Principes de la philosophie, Christine emportant des livres lors des visites dans son royaume et à la chasse (elle reste parfois dix heures à cheval). Alors que Descartes pense « passer le reste de ses jours » aux Pays-Bas, il est officiellement invité en Suède par la reine. A un correspondant, il avoue que : « né dans les jardins de la Touraine », il redoute d’« aller vivre au pays des ours, entre des rochers et des glaces »... Mais cette invitation est un honneur pour Descartes qui écrit à Pierre Chanut tout le bien qu’on lui dit de la jeune reine : « Et je n’en aurais osé croire la moitié, si je n’avais vu par expérience, en la Princesse Elisabeth de Bohême, à qui j’ai dédié mes Principes de Philosophie, que les personnes de grande naissance, de quelque sexe qu’elles soient, n’ont pas besoin d’avoir beaucoup d’âge pour pouvoir surpasser de beaucoup en érudition et en vertu les autres hommes. »

 

La mort à Stockholm

 

Début septembre 1649, Descartes se résout à embarquer, en emportant ses manuscrits. Arrivé à Stockholm le 4 octobre 1649, Descartes est reçu par Christine, qui lui demande de venir dans sa bibliothèque chaque matin à 5h, moment « tranquille » pour la reine qui se lève dès 4h. Descartes accepte « avec respect », sans dire que cet ordre bouleverse ses habitudes, puisqu’il se lève tard. Il a toutefois fait demander, par le bibliothécaire de la reine d’être dispensé de « tout le cérémonial de la cour », ce que Christine a accordé. Les lettres du 9 octobre à Elisabeth de Bohême et du 4 décembre à Constantin Huygens, montrent l’admiration de Descartes pour la jeune souveraine, dont il défend avec sincérité « la vertu si haute », alors qu’on évoque la liberté de mœurs de Christine. Descartes dit aussi vouloir retourner « en sa solitude » pour « avancer en la recherche de la vérité ».

Son séjour répond mal à son attente, car, absorbée par la cour, ses responsabilités et les visites de son royaume, Christine ne peut consacrer assez de temps à la philosophie. Dans la lettre du 15 janvier 1650, Descartes s’interroge sur l’utilité de sa présence à Stockholm, où il avoue ne pas être « en son élément ». Après avoir demandé à Descartes d’écrire un ballet en l’honneur de la paix, où il montre les horreurs de la guerre, la reine le fait revenir au palais l’après-midi pour rédiger un « projet d’académie ». Descartes porte ce texte à la reine le 1er février, par un froid exceptionnel. Il tombe malade et meurt à 54 ans, le 11 février 1650.
La reine, qui souhaitait l’incorporer à la noblesse suédoise, propose de l’enterrer avec les princes et personnages illustres, ce que Pierre Chanut refuse, sans doute en raison des accusations d’athéisme diffusées contre Descartes par les universitaires d’Utrecht. Un tombeau provisoire est alors élevé dans le cimetière de Nord-Malmoe, avant que les restes de Descartes ne soient transférés à Paris en 1667, à l’abbaye Sainte-Geneviève, puis en 1819 à celle de Saint-Germain-des-Prés.

On a beaucoup discuté de l’influence de Descartes sur l’évolution spirituelle de cette reine, qui, fille de Gustave-Adolphe, grand défenseur du Luthéranisme, a préféré la foi catholique à la couronne d’un pays luthérien. Dans ses Mémoires, rédigées bien après les faits, Christine a dit que Descartes avait contribué au mûrissement de ses pensées. Sans détails sur l’enseignement philosophique dispensé à la reine, rappelons simplement que dans Les Passions de l’âme, son dernier texte publié, Descartes insiste sur « l’usage de notre libre arbitre et l’empire que nous avons sur nos volontés ».

 

 

Sources : www.psycho-univparis5 /Annie Bitbol-Hespériès. 

Christine de Suède de Bernard Quilliet (Ed. Fayard, 2003)

Descartes de Geneviève Rodis-Lewis (ED. Calmann-Lévy, 1995)