accueil > Extrait de la pièce
Une personne Nous sommes mariés, lui ai-je dit, je suis celle que tu aimes, ai-je dit, donne-moi une chance, ai-je dit, laisse-moi rester, ai-je dit, et ça a marché. Il s’est arrêté, il s’est tourné vers moi, et il a soutenu mon regard quelques secondes. Hésitant. Une chance, ai-je supplié. Et je l’ai obtenue. Il a changé d’avis.
Une amie Qu’est-ce que tu avais fait ?
Une personne J’ai oublié à quel point il comptait pour moi, pendant un moment. J’ai rencontré quelqu’un d’autre, et ce que cet autre pouvait me donner était différent de ce que j’avais déjà, et je me suis demandé : Dois-je m’interdire cette expérience, et j’ai répondu : Non, je ne le dois pas, et j’ai pensé : Laisse venir, monte avec lui dans la chambre d’hôtel, fais tout ce qu’il te propose, laisse faire. Un moment. Une petite heure.
Une amie Et puis ?
Une personne Me doucher. Me rhabiller. Inventer une histoire pour dissimuler la vraie. Raconter ce mensonge à mon mari, rien d’autre. Un moment. Quelques jours. Échouer. Ou plutôt, céder. Ne pas arriver à être quelqu’un qui ment.
Je ne l’ai jamais vu aussi brisé. C’était comme s’il ne pouvait pas croire que j’avais ça en moi.
Une amie Oui.
Une personne J’ai pleuré. Imploré. Je t’aime, ai-je dit. C’est de l’amour, ai-je dit.
Une amie Et il a cédé ?
Une personne Oui.
Une amie Il n’avait pas la moindre chance face à toi, depuis le premier jour.
Une personne J’ai dit la vérité. Je suis une personne – et je suis vraie.
Une amie Je suis une amie – et je suis haineuse.
Une personne Haineuse ?
Une amie Quelquefois, oui. Maintenant. Une sorte de haine.
Une personne Envers moi ?
Une amie Je crois. Quasiment depuis le jour où je t’ai vue prendre place à notre table lors de cette fête où nous n’aurions jamais dû aller, c’est celle qui plus tard appellera mon mari le sien, ai-je tout de suite pensé. Je t’ai regardée, et je l’ai regardé, quelque chose en lui avait changé, comme s’il ne parlait pas à une simple inconnue, mais à une inconnue qui subitement comptait pour lui. Je t’ai haïe.
Une personne Oui.
Une amie Qu’as-tu pensé de moi ?
Une personne La première chose que j’ai pensée ? Ce qui m’est directement venu en tête en te voyant assise à côté de lui ?
Une amie Oui ?
Une personne Qu’elle est vieille, ai-je pensé. Plus vieille que lui, ai-je pensé. Ils ne sont quand même pas en couple, ai-je pensé.
Une amie C’est aussi ce que j’ai longtemps pensé. C’est trop beau pour être vrai, pensais-je. Mais il me rassurait. C’est nous, disait-il.
Une personne Oui, je l’ai compris au bout d’un moment. Ce n’est pas platonique, ai-je pensé. Ce n’est pas une relation de frère et sœur ou d’amitié, ai-je pensé.
Une amie D’amitié aussi. D’amour et d’amitié. Quand tu l’as pris, j’ai perdu la personne qui m’était la plus proche.
Une personne Vous êtes toujours amis.
Une amie Oui. Je suis une amie – et je pardonne.
Une personne Je suis une personne – et je suis jalouse. Ou plutôt. De temps à autre.
Une amie De moi ?
Une personne Quelquefois. Avant. Surtout avant. Il était inflexible. C’est une amie, disait-il de toi. Si elle veut me garder dans son cercle d’amis, je ne la laisserai pas tomber, disait-il.
Une amie C’est moi qui disais ça. Cercle d’amis.
Une personne Je pensais que ça venait de toi. Il ne parle pas comme ça, me disais-je, c’est elle, lui disais-je, c’est elle qui te manipule, disais-je.
Une amie Ça me plaisait. De pouvoir continuer à avoir prise sur sa vie. Y être présente aussi souvent que possible, accepter toutes les invitations, prendre moi-même l’initiative d’une rencontre si ces invitations ne venaient pas aussi souvent que je le souhaitais, et constater que ça lui coûtait quelque chose, à la maison, que c’était une chose qui ne te rendait pas spécialement heureuse, mais à laquelle malgré tout il devait presque toujours dire oui. Oui à moi.