accueil > "M’emparer de ce texte Extinction de Thomas Bernhard est devenu une évidence "
Votre nouvelle création travaille autour de textes de Bernhard et de Schnitzler ; qu’est-ce qui a attiré votre attention à l’égard de ces œuvres et comment les articulez-vous ?
La première impulsion de ce spectacle, c'était la lecture de textes de Thomas Bernhard. C'est un auteur destiné à me plaire, parce qu'il est extrêmement dur, sombre, radical ; au fond, il ne laisse rien passer. Je tournais autour de ses textes, je devais monter autre chose et puis je suis tombé sur Extinction. M’emparer de ce texte est devenu une évidence. C'est le récit d'un homme (qui sera une femme dans mon spectacle), un universitaire de 50 ans travaillant à Rome, originaire d'un petit village autrichien qui s'appelle Wolfsegg, issu d'une famille bourgeoise, qui apprend la mort de son père, de sa mère et de son frère et qui, avant de se rendre aux funérailles, va, pendant à peu près 500 pages d'un monologue extrêmement dur, dézinguer tout ce qui a trait à l'Autriche, aux mensonges liés au nazisme, à la bourgeoisie culturelle, la fausse littérature, la violence sociale. Il dit qu'il va « tout éteindre ». Mais on pourrait dire « tout brûler ». Il y a quelque chose d'un geste extrêmement violent. À la lecture, ça a été immédiat pour moi et en même temps, ça m'a confronté à quelque chose.
Comment abordez-vous cette « négativité » ?
Je veux travailler sur deux façons d'approcher la négativité. D'un côté, ce que l'on pourrait appeler le nihilisme, c'est-à-dire les auteurs avec qui j'ai grandi, tel Michel Houellebecq, même si je ne pense pas qu'il soit nihiliste, mais qui, d’une certaine manière, observe que tout est terminé, une façon de regarder la fin du monde avec résignation. Même si je la refuse simultanément, je sais que cette chose-là me constitue au fond : elle a été à la base de mon amour pour la littérature, de mes lectures adolescentes. Or j’ai pris conscience - et c'est la deuxième manière d'aborder la négativité - que cette première forme était complètement désuète, dépassée aujourd'hui par des gens plus jeunes que moi, des femmes notamment, chez qui elle prend la forme d'un non, qui porte une colère et, en ce sens, également la vie. C'est-à-dire qu'il peut y avoir quelque chose comme une négativité de combat, si j'ose dire. Il y a un non, une violence du non, un refus, une façon de tout détruire ou de tout brûler, qui en fait porte un pouvoir de vie. J'avais envie que le spectacle, en passant par Thomas Bernhard et d'autres auteurs, traite de cette question-là : à la fois de ce que l'on m'a appris et de ce que je vois aujourd'hui.
Vous avez composé une distribution mêlée d’actrices et acteurs de la Volksbühne et de votre compagnie ; comment envisagez-vous la direction de cet ensemble ?
Il y a à la fois des acteurs français et des acteurs allemands : c'était important pour moi que nous nous rencontrions. Et il s’agit des acteurs, mais aussi évidemment des techniciens, des musiciens, tout ce monde-là. Donc c'est une forme de rencontre au plateau. Je ne sais pas exactement ce que ça va donner mais cette perspective me rend heureux. En fait, je me suis toujours senti comme un metteur en scène européen. Avant de monter Les Particules élémentaires, j'avais été invité par le Festival d'Avignon dans le cadre du programme Kadmos, qui était un programme de rencontres de jeunes metteurs en scène, d'abord européens, puis de partout, et j'ai eu la chance de rencontrer plein de jeunes gens qui, pour certains aujourd'hui, continuent à faire du théâtre, des metteurs en scène libanais, italiens, turcs, congolais, et je me souviens qu'en rencontrant tous ces gens, la première chose qu’ils me disaient, c'était qu'ils ne pouvaient pas fonctionner sans l'Europe. Pour eux, être là au festival d'Avignon, c'était une manière de rencontrer des gens. Donc très tôt, je me suis dit qu’il n’y a bien que nous, Français, qui pensons être des artistes français (rire), parce que les gens d’autres nationalités fonctionnent en grande partie avec toute l'Europe. C'est important pour moi de continuer à travailler autour de ces questions du sur-titrage, de l’intégration de différentes langues, la question de mélanger plusieurs façons de jouer, plusieurs cultures ; tout cela a toujours été à l'intérieur de mes spectacles.
Extrait des propos recueillis par Mélanie Drouère, le 24 janvier 2023 à l’occasion de la création du spectacle au Printemps des comédiens