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La vieillesse, la dépendance, la solitude sont des problèmes complexes qui nous touchent tous. Quelle réponse donner ? Comment se soigner ? Garder son environnement ? Préserver les amitiés qui maintiennent en vie ? Car il n’y a pas que le problème de la sécurité sanitaire et matérielle, il y a aussi et surtout la question du maintien de l’appétit de vivre ! Le réseau familial et le réseau amical sont rarement au même endroit. Alors comment conserver amis et voisins de toujours ? Se rapprocher de la famille ? Créer de nouvelles relations dans un EPHAD ? Est-ce vraiment possible quand on a 80- 90 ans ? L’idéal est certainement de pouvoir rester chez soi en étant aidé, et quand c’est par le biais de l’amitié, c’est encore mieux, que demander de plus ? C’est ce que Les Gardiennes vont essayer de faire comprendre à Victoria mais la partie est loin d’être gagnée.
Avec cette fable fantastique, j’aimerais représenter les derniers vestiges d’un monde révolu. Je propose de plonger le spectateur dans un univers singulier, celui d’un temps élastique, un espace à part, avec ses règles, ses rites, son atmosphère et sa propre réalité. Nous suivrons le parcours de Victoria. A travers son regard, nous découvrirons le quotidien de ces femmes âgées d’un autre temps, diablement bien organisées pour assurer leur survie et celle de leur amie Rose. Les petites débrouillardises du quotidien : comment tuer l’ennui, faire les courses, le ménage, comment résister au froid, aux canicules, comment se déplacer pour aller chez le médecin et toutes les stratégies déployées chaque jour pour éviter l’impitoyable modernité qui ne leur fait aucune place. Ces Gardiennes ont partagé les grandes espérances de l’après-guerre, les espoirs des décolonisations, des indépendances, les promesses d’un monde en progrès continu.
C’est une génération « politique », croyante en quelque sorte, croyante dans le progrès et l’éducation, qui a connu des grèves victorieuses, la promotion sociale de ses enfants, un réel nouveau « confort », qui a vu arriver avec stupeur et incompréhension le néolibéralisme et la religion du tout consommable et du tout jetable. Elles ont toutes vécues dans cet immeuble et n’en ont jamais bougé. Elles en connaissent les moindres recoins. Tout le monde est parti au fur et à mesure, elles ont vu leur quartier s’appauvrir sous leurs yeux, mais elles ont décidé de rester dans ce bâtiment.
Victoria au contraire incarne l’extrême modernité, c’est une femme qui maîtrise parfaitement les codes du nouveau monde, elle se doit d’être efficace tous les jours pour organiser sa vie et celle de ses deux enfants. Victoria est séparée de leur père, la situation est explosive entre les deux et la gestion de la garde alternée est source de vives tensions. Elle est radiologue dans un hôpital, où là encore les conditions de travail sont soumises à rude épreuve avec un personnel soignant fragilisé et à bout de nerfs. Son arrivée est vécue par Les Gardiennes, comme une intrusion. Elle ne peut imaginer la violence de son comportement car elle pense agir pour le bien-être de sa mère. Se dessine alors un conflit d’imaginaires inévitable entre les deux mondes.
Nasser Djemaï