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Note d'intention

À propos

Iliade. D'un côté les Grecs, de l'autre les Troyens. 24 chants et 15 337 vers pour raconter six jours et six nuits d'une guerre qui dure depuis neuf ans et ne se terminera qu'un an plus tard. Des destins multiples qui s'entremêlent dans un mouvement allant de la colère teintée de fer à la compassion trempée de larmes.

De prime abord, il semblerait qu'Homère nous montre comment la guerre permet aux hommes d'échapper à leur condition de mortels : en allant puiser en eux le courage de se dépasser et de faire face à la mort, ils accèdent à l'éternité. Cependant, au fil des pages se dessine une tout autre vision du monde, empreinte de mesure et d'humanisme. Très vite la question se pose : et si le poète convoquait la force des hommes pour mieux nous parler de leurs faiblesses ? Ainsi le cœur de L'Iliade ne serait pas seulement fait de la gloire des êtres humains, mais aussi de l'amertume que le sort fait peser sur la lignée des hommes.

 

Aujourd'hui plus que jamais, alors que l'Europe traverse une crise politique et économique majeure, nous voulons faire entendre la voix d'Homère. Parce que L'Iliade nous parle de l'oppression sans jamais tomber dans le manichéisme et parce que ses protagonistes y sont égaux face au destin, nous voulons raconter ce chant de fureur et de tendresse. À travers les histoires d'Achille, Hélène, Andromaque, Hector et Agamemnon, nous voulons défendre un certain type d'humanité. Parce qu'il n'y a pas de héros, seulement des hommes qui tentent d'échapper à la souffrance.

 

Fil rouge dramaturgique

 

L'Iliade s'ouvre par la fureur d'Achille et se terminera, dix-huit jours plus tard, par son pardon.

Entre ces deux moments, la colère funeste du héros culminera en prenant les traits d'une sauvagerie chaotique et sans limite. L'Iliade raconte cette trajectoire. Celle d'un héros dont les choix seront systématiquement dictés par des sentiments personnels. Ce n'est pas un chef de guerre, un meneur d'homme comme le pourrait être Agamemnon, mais un individu dont le seul objectif est d'accomplir ce qu'il ressent au plus profond de son être, qu'elles qu'en soient les conséquences.

Face à Achille, dans le camp opposé, se trouve Hector. Illustre combattant, il place sa fonction de chef des armées bien au dessus de celles d'époux et de père. Achille écoute son instinct personnel tandis qu'Hector met sa vie au service de sa patrie. Alors que L'Iliade commence par la rébellion d'Achille contre son propre camp, jamais Hector ne cherchera à échapper à son destin de chef de clan. Parce qu'il est exemplaire en tout, aimant pour sa famille et courageux pour son peuple, Hector peut alors se révéler être le véritable héros de L'Iliade.

 

Ainsi, ce sont deux conceptions très différentes de l'héroïsme qui s'affrontent, au sens propre du terme, au fil des vingt-quatre chants de L'Iliade. L'une des grandes forces du poème est que, d'une part, elle ne forge pas de jugement moral à l'encontre de l'une ou l'autre de ces conceptions et que, d'autre part, elle les fait se rejoindre dans la quête insatiable de postérité qui les habite.
C'est bien là le moteur et le point de rencontre de chacune de ces deux figures majeures : échapper à sa condition de mortel en se mettant au service de ses convictions, qu'elles soient égoïstes ou altruistes.

 

Achille eveille en nous, en écho, la conscience de ce qui fait de l'existence humaine, limitée, dechirée, divisée, un drame ou la lumiere et l'ombre, la joie et la douleur, la vie et la mort sont indissolublement mêlées. Exemplaire, le destin d'Achille est marqué  du sceau de l'ambiguité. D'origine à moitie humaine, àmoitie divine, il ne peut être entierement ni d'un côté ni de l'autre.
Jean-Pierre Vernant