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« Depuis 1492, un feu effréné parcourt la Terre, ravageant corps et paysages sur son chemin. De part et d’autre, de braves âmes tentent de le restreindre sans se parler. Certains protègent les forêts vierges, mais font peu de cas des forêts d’ébéniers en flammes. D’autres portent secours aux corps Noirs, sans s’inquiéter de la fournaise des plantations. Dans cette fracture ce feu persiste. » Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale.
Les leçons de ténèbres sont un genre musical liturgique du XVIIe siècle qui met en musique, sous une forme de polyphonie vocale, des extraits du texte des Lamentations de Jérémie qui pleure la destruction de Jérusalem.
Les leçons de Ténèbres que je crée aujourd’hui pleurent, elles, une autre destruction que nous vivons aujourd’hui : celle de la Terre. Mais s’adresser aux ténèbres ou parler depuis les ténèbres est aussi un moyen pour chercher de la lumière. Il s’agit de convoquer l’obscur, ce qui ne doit pas être montré, ce qui a été caché, l’invisible…
Dans son essai Une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand propose une autre façon d’aborder la question écologique en la mettant en lien direct avec l’histoire coloniale.
Il fait apparaître la figure du navire et plus particulièrement celle du navire négrier comme une métaphore politique qui raconte une autre histoire du monde et de la Terre.
Cette image du navire entre en résonance avec mes recherches sur le mythe de Mami Wata et le vaudou (système de croyance qui s’articule autour des quatre éléments terre, eau, feu et air ainsi que de l’opposition lumière/obscurité). Le navire contient une possibilité de la rencontre et d’une circulation de croyances, de pensées et d’imaginaires.
À l’instar de la métaphore du navire filée par M. Ferdinand, Leçons de Ténèbres mêle des images, des imaginaires, des croyances issues de cultures dominantes et dominées.
« Par leurs corps, les humains sont les porte-traces et les traceurs du monde. » Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale.
Dans Leçons de Ténèbres quatre corps se font les porte-voix, porte-traces d’histoires du monde et de la terre. Il et elles déterrent des récits : ceux qu’on ne voudrait pas voir, que l’on a oublié, que l’on a voulu faire disparaître. Ces quatre personnes creusent, corps courbés, penchés jusqu’à faire surgir l’invisible. Jusqu’à ce qu’elles-mêmes se transforment, disparaissent et se métamorphosent. Tour à tour il et elles défient, témoignent, assistent, protègent, soutiennent et font apparaître des visions.
Ces quatre corps sont chevauchés par une respiration qui les relie, agite leurs poitrines. Elles se gonflent et se dégonflent, donnent des coups, sont traversées par des impacts.
Elles ont des histoires à nous livrer,
des récits à chanter,
des danses à donner,
des places à revendiquer,
des colères à exprimer,
des peurs à partager,
des morts à pleurer,
à faire parler,
des puissances à invoquer,
des croyances à interroger,
des signes à interpréter,
des langues à faire résonner,
des images à brouiller,
des masques à assembler,
des limites à dépasser,
des feux à convoquer.
Betty Tchomanga