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Silent legacy est un nouveau projet dans la continuité de counting stars with you (musiques femmes), le rapprochement des deux créations m’ayant donné l’envie de creuser les questions autour de l’identité de genres et de cultures, mais aussi et surtout la filiation en danse.
Dans counting stars with you (musiques femmes), pièce portée par un étonnant casting de six danseur.se.s/ chanteur.se.s, des questions telles que - «Quelle place est accordée aux femmes dans l’histoire de la musique ancienne et contemporaine ?», «Comment redonner une voix à des femmes qui sont souvent restées dans l'ombre de cette histoire ?» ou encore «Comment repenser la musicologie sous l’angle des théories féministes et de la musicologie queer ?» ont posé les bases du projet. En questionnant le devenir-féministe dans l’histoire de la musique, nous avons réussi à inventer un autre type de filiation entre toutes les compositrices présentes dans le projet et à tisser un lien fort entre la danse et ces musiques. Une histoire « au féminin» de la musique s’est ainsi écrite et c’est de ce nouveau prisme et ces nouvelles constellations que la danse s’est incarnée. Le geste dansé est le chant portant haut et fort la voix et la présence de ces femmes oubliées par l’Histoire.
Dans counting stars with you (musiques femmes) nous avons mené un travail où la fouille et la sociologie du genre croisent la danse, le chant et la musique. En revisitant et en transgressant l’histoire de la musique, officielle et masculine, nous avons proposé une vision très subjective du matrimoine musical, tout cela à la lumière des théories du genre. Les œuvres, issues d’un répertoire purement féminin, traversant plusieurs styles, époques et générations, ont été arrangées dans une dramaturgie musicale signée par Chloé Thévenin (compositrice et DJ), autant qu’elles ont été interprétées au chant par les danseurs.se.s au plateau. Nous avons tissé la dramaturgie de la pièce comme une constellation d’étoiles, un système solaire, une succession de vagues. L’imaginaire de la nature et une dimension spirituelle venant ici transcender les questions d’ordre politique et culturel. Le politique devenant alors sensible, la revendication émotionnelle, l’énergie et le souffle remplaçant les mots et les représentations stéréotypées de la lutte. Là où la transmission ne passait pas, là où les liens étaient brisés, nous nous sommes attelé.e.s à créer. Lorsqu’un trou se dessinait dans la toile, dans le ciel, dans les généalogies des artistes, dans leurs soutiens, alors nous nous sommes mis.es à tisser, réunir, à communier. En essayant de combler les brèches et en ayant le plus grand respect pour les failles, car les fractures nettes sont aussi souvent essentielles à l’expansion de nos constellations. Cette recherche nous a amené.e à saisir, à interpréter, à canaliser toute une « cosmologie» artistique et politique, tout un héritage qui a donné lieu à une pièce hybride et « queer » reliant la danse aux étoiles, au chant, à la lumière, à la mémoire, au cosmos, à la musique et à l’engagement.
Héritage :
En tant que féministe, je suis par définition impliquée dans des constellations, des héritages, des liens. «L’espace de la cause des femmes» est au cœur de ma problématique de vie et d’artiste. Mais il ne s’agit pas de voir dans le terme de féminisme la seule réalité d’une lutte militante. Il ne recouvre pas uniquement une dimension « activiste », consciente et revendiquée. Il est aussi un sentiment, une perception. Capter, canaliser, saisir comment ces cartographies artistiques, sociales et politiques travaillent les corps et les esprits, imaginer comment celles-ci traversent des générations, comment elles se transmettent, s’incarnent et nous mettent en mouvement, comment elles nous bougent et nous font danser, voilà ce qui attise ma curiosité. Tout devient alors canal, tout devient alors transmission, tout devient, inlassablement, la mise en réseau de ce qui n’est pas visible, mais bien présent et sensible.
En tant qu’artiste, je partage, je transmets, j’imagine et je créé. Les corps sont les « passeurs d’expériences», je les expose, je les mets en scène, je cherche des mots pour les dire, pour les raconter, pour que ceux-ci viennent toucher émotionnellement, physiquement. Le corps est un médium. La médiumnité, c’est ce corps qui se fait antenne, qui ressent et qui fait passer. Par le biais du corps, de l’imaginaire mais aussi de la pensée, nous avons accès et nous pouvons rendre visible, donner une voix, incarner des idées, des héritages, des filiations. La danse, tout comme la spiritualité féministe, ne saurait être désincarnée et c’est la raison pour laquelle je suis de plus en plus curieuse et boulimique de rencontres fortes, d’héritages et d’expériences, nous reliant à la cette constellation infinie d’humanités dansantes.
Maud Le Pladec